Le docteur Dron en consultation à la Sauvegarde des nourrissons, vers 1927.
Archives municipales de Tourcoing, série I supplément.
Gustave Dron, médecin
Gustave Dron s’installe à Tourcoing au 100 rue de la Cloche comme médecin de ville. Dès le début de sa carrière, il choisit de s’investir au service des plus démunis. En octobre 1880, il est élu à la commission d’inspection des logements insalubres de Tourcoing en remplacement de Léon Dewyn. En effet, conformément à la loi du 15 avril 1850 relative à l’assainissement des logements, il doit être créé des commissions visant à identifier et inspecter les habitations dont l’usage présenterait un danger pour ses occupants. Dans cette commission de cinq à neuf membres doivent figurer obligatoirement : un médecin, un architecte, un membre du Bureau de bienfaisance et un membre du Conseil des Prud’hommes. Le maire en est le président. Gustave Dron y est admis en tant que médecin, Fidèle Lehoucq y représente le Bureau de Bienfaisance.
En 1883, Gustave Dron est nommé médecin au Bureau de bienfaisance, il le restera jusqu’en 1889. Parallèlement, il est toujours médecin en ville au 86 rue Thiers. En 1884, il est nommé médecin inspecteur pour le département et le service de protection du premier âge jusqu’en 1888. Cette même année, il publie un ouvrage spécialisé sur le cancer de l’œil.
En 1912, suite à l’"affaire Bonnot", le président de la République Raymond Poincaré charge le ministre de la Justice, Garde des sceaux, Aristide Briand, d’une importante modernisation de la police. Ce dernier demande à Gustave Dron, député médecin, de bien vouloir intégrer la commission de mise en place du laboratoire d’anthropologie criminelle.
En 1921, il est élu vice-président du comité supérieur de protection des enfants du premier âge, sous la présidence de Paul Strauss, et vice-président du conseil supérieur de l’assistance publique. Cette même année, il est choisi comme vice-président du conseil supérieur de l’assistance publique. En 1922, Gustave Dron remplace Paul Strauss au poste de président car ce dernier devient ministre de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales.
Jusqu’à sa mort en 1930, il assure des consultations à la Sauvegarde des nourrissons.
L'hospice, 1886-1ère intervention
Il existe à Tourcoing comme dans beaucoup de villes une institution charitable appelée depuis la Révolution "Hospices" et qui regroupent ici hôpital (lieux de soins) et hospices (lieux d’accueil pour vieillards et orphelins). Ces établissements sont gérés depuis 1805 par une commission de cinq personnes nommées par le préfet sur une liste présentée par la commission elle-même. La loi du 5 août 1879 écarte les membres du clergé de la gestion des Hospices et les commissions doivent désormais se composer du maire et de six membres, dont quatre nommés par le préfet et deux désignés par le conseil municipal.
La mise en place de la nouvelle législation donne lieu en 1880 à un renouvellement complet de la commission administrative des Hospices de Tourcoing qui voit arriver en son sein un républicain, Louis Leloir. Gustave Dron, qui vient d’entrer au conseil municipal est choisi le 4 juin 1884 afin de remplacer Herbaux-Sion à l’administration des Hospices. Il vient épauler son oncle par alliance Louis Leloir. Leur objectif est non seulement d’améliorer et de moderniser l’assistance mais aussi d’introduire les conceptions républicaines dans cette institution conservatrice. En cela, ils s’opposent aux "anciens", rangés du côté du vice-président Delepoulle en place depuis 1873. En effet, une certaine pression confessionnelle est exercée sur les assistés (nombreuses messes, éducation religieuse des orphelins, surveillance des lectures…) qui n’est pas compatible avec l’idéal républicain de Gustave Dron.
Homme de terrain, dès sa nomination, Gustave Dron se rend à Lille et à Roubaix pour enquêter dans des établissements similaires. Puis, le lundi 19 janvier 1885, il mange au réfectoire de l’Hospice afin de se faire une idée concrète des repas proposés : « […] j’ai vu et j’ai goûté […] d’abord un bouillon qui n’était ni plus ni moins que de l’eau de vaisselle du premier ménage, une eau grasse et salée avec du pain […] Les malades n’ont de viande que les lundi, mardi, jeudi et dimanche, précisément les jours de sortie […] j’ai goûté la bière, ce breuvage qui n’est déjà que de la demi-bière était allongé d’une bonne moitié d’eau […] si encore on permettait à ces malheureux pensionnaires de corriger la fadeur de leurs aliments avec du poivre, du sel, de la moutarde ; hélas ! c’est inconnu, ce serait trop de luxe […] ».
Outre Louis Leloir, Gustave Dron trouve un allié en la personne de Dervaux, responsable des finances qui le rejoint dans ses réclamations. Le 12 mars 1885, il passe à l’offensive et interpelle la commission, ce qui provoque des discussions houleuses au sein d’une assemblée peu habituée à la contestation. Il demande que les orphelins soient scolarisés et que la nourriture et l’hygiène soient améliorées pour tous. Delepoulle vice-président de la commission des Hospices juge ces revendications excessives et inappropriées.
La même année, le ministère de l’Intérieur missionne le comte de Flers, inspecteur général des établissements de Bienfaisance, afin de visiter l’hospice et l’hôpital de Tourcoing. Celui-ci à l’issue de son inspection ne trouve pas qu’il y ait quelque chose à redire sur le respect des libertés ou la fréquence des sorties. Il écrit dans son rapport que, de toute façon, les vieillards et les orphelins n’ont plus de famille et n’ont donc pas de raison de sortir. De son point de vue, ils sont mieux à l’Hospice que dans la misère à l’extérieur. Ces assertions provoquent la colère de Gustave Dron et les échanges avec le représentant du ministère sont assez vifs. La commission décide donc, au vue des conclusions de l’inspecteur, de ne pas tenir compte des demandes de Gustave Dron.
Cependant, celui-ci ne désarme pas et continue à vouloir réformer les choses. N’obtenant pas d’écoute ni de la majorité de la commission, ni du maire (président de droit) il choisit d’alerter l’opinion publique en interpellant le conseil municipal lors de l’examen du budget des Hospices. Il sait que la presse relatera les débats. Le 19 février 1886, Gustave Dron frappe fort et déclare au cours du conseil municipal qu’il a de sérieuses observations à présenter sur la façon dont les Hospices sont administrés. Il précise toutefois qu’il regrette d’en être rendu à cette extrémité mais que le plan de réforme qu’il a soumis un an plus tôt est resté lettre morte et que la situation l’oblige à de tels éclats.
Il commence son discours en rappelant que le 9 juillet 1884, Dervaux avait déjà fait des remarques sur l’emploi de l’argent des subventions municipales, sur le manque d’hygiène et de liberté. Malgré quelques progrès, il souligne que le linge de corps et de lit n’est pas suffisamment renouvelé et que les pensionnaires ne prennent toujours pas assez de bains. À Roubaix et à Lille, il a constaté que les vieillards pouvaient sortir comme ils voulaient. À Tourcoing cela n’est possible que deux jours par semaine, les lundi et jeudi pour les hommes et les mardi et samedi pour les femmes. Il demande à ce qu’au moins une sortie soit autorisée le dimanche, car si l’on retient les vieillards le dimanche c’est uniquement pour la prière et la messe. Il demande la modernisation du règlement établi en 1856 et déplore que les religieuses aient autant de pouvoir. Il souhaite enfin que les journaux disponibles dans les établissements charitables soient de tous bords. Quant aux orphelins qui vivent également à l’hospice, il conteste vivement les méthodes éducatives proposées : « […] L’éducation donnée aux orphelins est négative…Pour ceux qui ont commis le crime de perdre père et mère il n’y a plus de liberté morale ; pour les personnes chargées de leur éducation (les religieuses) c’est une jeune pâte à pétrir […] ». En effet, l’emploi du temps des enfants est rythmé par les prières et les leçons dispensées par les religieuses. Gustave Dron demande à ce qu’ils soient envoyés à l’école communale. Il déplore, comme pour les vieillards, la mauvaise qualité de la nourriture, le manque d’hygiène, la discipline inflexible et l’impossibilité de voir le reste de leur famille : « […] ceux qui en sortant de l’orphelinat sont encore honnêtes et se conduisent bien doivent être doués d’une nature exceptionnelle […] après avoir subis, jusqu’à 18 ans une discipline ecclésiastique qui les répugne, on les jette sur le pavé, ne sachant rien, pas même un métier qui puisse les aider à gagner leur vie […] ». Les jeunes ne reçoivent qu’une modeste formation de tailleur ou de cordonnier. Il cite en exemple Roubaix où les petits sont placés en nourrice à la campagne jusque l’âge de six ans, puis mis en apprentissage. « […] N’est-ce pas plus rationnel que la séquestration qu’ils subissent ici […] ». Pour les filles, le tableau est encore plus noir. Il reproche à l’institution l’état de santé déplorable des jeunes filles. Elles sont occupées toute la journée à lire, à prier et à coudre. À 18 ans, au sortir de l’orphelinat, elles ne trouvent pas de travail et doivent faire appel à la charité ou pire.
Pour Gustave Dron, l’argent que la mairie donne aux Hospices est mal employé : « […] je me prends à regretter que tant d’argent soit dépensé pour un si petit résultat […] ». Il déplore que, contrairement à Lille, le maintien des personnes âgées à domicile ne soit pas privilégié et encouragé par la distribution de bons de secours. Il veut que la municipalité intervienne et menace de quitter la commission d’administration des hospices s’il n’est pas entendu. Lorsqu’il est fait référence à l’inspection de 1881 favorable à l’organisation actuelle, il rétorque qu’il n’a été vu que ce qu’on a bien voulu laisser voir car les pensionnaires ont été interrogés en présence de la supérieure et de l’économe, ils ont donc dit des choses positives. Il juge l’enquête fort peu fiable et le rapport erroné. Cet exposé fait beaucoup de bruit et la presse se charge largement de relater l’événement. Le 27 février 1886, Auguste Bigo prend la parole devant le conseil municipal pour répondre aux accusations de Gustave Dron. Il lui reproche notamment d’attaquer trop vivement les religieuses dévouées aux malades depuis longtemps.
Quelques mois après, le 19 avril 1886, Delepoulle, vice-président des Hospices décède. Charles Jonglez, Louis Pollet et Alexandre Debisschop membre de cette même commission écrivent au maire en mai 1886 pour prendre la défense posthume du vice-président. Ils considèrent que son action a apporté un mieux et demandent que lui soit trouvé rapidement un successeur. Quant à Gustave Dron, il place immédiatement ce remplacement sur le plan politique et demande que soit choisi un homme à l’esprit ouvert, comprenant et osant appliquer la réforme nécessaire. Il préfère que l'on opte pour un républicain qui ne se laissera pas influencer. Mais il n’est pas suivi par le maire, Victor Hassebroucq, pour qui cette élection doit relever de la conscience de chacun. Il souhaite que ce choix puisse amener la conciliation et l’entente et ce, dans le plus grand intérêt des déshérités. C’est Auguste Goubet, juge de Paix, qui est élu le 28 mai 1886.
Puis, le 15 juin Louis Leloir souffrant démissionne de son poste d’administrateur. Il est remplacé par un cousin, Jules Lehoucq qui partage ses idées. Le 10 septembre 1886, le docteur Dewyn, conseiller municipal, revient à la charge. Il demande une augmentation du nombre de places disponibles pour les vieillards et que soit étudiée la possibilité d’une assistance à domicile. Le maire refuse. Il ne souhaite pas trop impliquer la municipalité dans la gestion de l’Hospice : « […] il y aurait convenance et opportunité de lui laisser (à la commission des hospices) le soin d’apporter les réformes qu’elle croira utiles, d’autant plus qu’elle se trouve en présence des propositions de réformes présentées par M. Dron […] ». En 1887, quelques améliorations sont toutefois apportées au régime alimentaire des pensionnaires.
Gustave Dron ne désarme pas et repose, le 18 octobre 1887, la question des sorties citant à nouveau Lille en exemple. Même s’il n’obtient pas satisfaction officiellement, on lui concède une certaine souplesse concernant les sorties du dimanche. On donne également satisfaction au docteur Dewyn en créant dix places supplémentaires. Puis quinze autres lits sont installés rapidement dont cinq pour malades incurables. Le vice-président Auguste Goubet sensible au rapport de Gustave Dron met en pratique certaines de ses recommandations particulièrement en améliorant l’éducation des orphelins. Des promenades leur sont organisées dans une propriété des Orions, rue des Courses. Des chauffages sont installés pour les vieillards.
L'hôpital, première mission
L’hôpital de Tourcoing, installé rue Nationale, est fondé en 1846. Il est destiné à accueillir et à soigner gratuitement les malades pauvres atteints d’affections internes ou nécessitant une intervention chirurgicale. Il est géré par la commission administrative des Hospices dont fait partie Gustave Dron depuis 1884.
Le docteur Dewyn, conseiller municipal, dénonce dès 1885 les capacités d’accueil totalement insuffisantes de l’établissement. En effet, la ville connaît une importante augmentation de sa population depuis une trentaine d’années. Il réclame un agrandissement de l’Hôtel-Dieu et obtient que la question soit examinée, le 27 janvier 1887. L’hôpital possède 70 lits et un seul médecin pour plus de 60 000 habitants. Il traite en moyenne 60 malades par jour. Gustave Dron insiste, lui aussi, sur la nécessité d’un agrandissement de l’Hôtel-Dieu. C’est une vaste entreprise qui nécessite des capitaux importants. Nouvellement élu député (1889), il a maintenant plus de poids et achève de convaincre la commission administrative des Hospices. Il demande l’adjonction d’un quartier d’isolement pour les maladies contagieuses, la création d’un service pour les enfants, d’une maternité et d’une salle d’opérations. L’assemblée municipale, elle aussi convaincue, prie le docteur Dewyn de présenter un rapport détaillé des travaux à envisager. Celui-ci conclut dans sa présentation au conseil municipal du 14 novembre 1890, qu’il est nécessaire d’annexer les bâtiments du Bureau de Bienfaisance et de l’ouvroir de l’orphelinat de jeunes filles, appartenant aux sœurs de Saint-Vincent de Paul, pour réaliser l’extension de l’hôpital.
Le maire est décidé, mais devant l’importance du projet, il demande la nomination d’une commission spéciale de sept membres dont Gustave Dron est élu vice-président. Il faut, dans un premier temps, résoudre la question du transfert du Bureau de Bienfaisance. On choisit de l’installer dans des locaux neufs à construire sur un terrain rue du collège (future rue de la Bienfaisance). Gustave Dron élabore directement les plans en compagnie de l’architecte Louis Leroux. Le projet est présenté au conseil municipal le 2 septembre 1891. Ils cherchent avant tout, pour des raisons de coût, à adapter et à moderniser le bâtit existant. Ils décident de consacrer toute l’aile gauche des anciens bâtiments du Bureau de Bienfaisance de la rue Nationale au service des contagieux. En effet, de sérieuses poussées épidémiques sévissent à Tourcoing. Depuis quelques années, les épisodes de diphtérie (ou de croup) sont de plus en plus fréquents et la variole a fait des ravages au printemps 1891. En matière de transmission, Gustave Dron est conscient (il est en relation avec des chercheurs renommés comme Albert Calmette) que c’est par le contact avec les personnes ou les objets que la maladie se propage. Il demande l’affectation d’un personnel médical et administratif exclusif à ce service. Il souhaite protéger les autres patients de l’établissement, mais également l’ensemble de la population en l’amenant à choisir l’hospitalisation et ainsi à éviter le plus possible les contaminations.
À l’intérieur du pavillon, un espace spécifique est dédié à chaque maladie. Gustave Dron souhaite pouvoir y accoler systématiquement un jardin. Il est également prévu un système d’eau chaude afin de faire baisser la fièvre par immersion, ainsi qu’une salle d’étuves pour la désinfection du linge et du matériel. Il étudie et décide de chaque installation et aménage tous les services avec soin. Une maternité et une division spécialisée pour les maladies de peau et les syphilitiques sont créées. Il choisit de séparer les services médicaux et chirurgicaux et prévoit deux salles d’opérations. Il réserve un secteur aux enfants. Il ajoute même quatre chambres payantes réservées aux personnes sans famille et non indigentes.
Afin de commencer les travaux sans tarder, Gustave Dron propose que le Bureau de Bienfaisance soit installé provisoirement place Roussel dans les locaux désaffectés d’une école. La commission administrative qui gère l’institution charitable refuse. Un particulier se propose alors de vendre à la mairie un immeuble avec un vaste jardin contiguë à l’ancien Bureau de bienfaisance. Le Bureau de bienfaisance s’y installe. Le maire, Victor Hassebroucq anticipant l’avenir, voit dans cet achat un terrain utilisable en cas de nécessité d’un nouvel agrandissement de l’hôpital. L’étendue de la parcelle lui permet de mettre à la disposition de Gustave Dron et de son projet une partie du jardin. Ce dernier revoit donc ses plans. Il dote la maternité de 14 chambres particulières. Il augmente la capacité d’accueil du pavillon des contagieux et renforce l’isolement. Il agrandit considérablement le service des maladies de la peau.
En 1892, Gustave Dron est nommé vice-président de la commission administrative des Hospices en remplacement d’Auguste Goubet. Le gros œuvre est terminé au printemps 1894, une nouvelle acquisition d’immeuble a même permis l’extension du service des maladies de la peau. Le départ de la pharmacie du Bureau de Bienfaisance nécessite l’adjonction d’une officine pour l’hôpital. Cette séparation oblige le préfet à intervenir dans la répartition du « droit des pauvres » (taxe prélevée pour les indigents sur tous les produits des spectacles publics) qui sert à financer les achats de médicaments.
Gustave Dron doit maintenant travailler à l’organisation interne.
Il décide de la création de 5 grands services et de la nomination de leurs directeurs :
- le service des fiévreux sous la direction du Docteur Mahieu ;
- le service des fiévreuses sous la direction du Docteur Cadeau ;
- le service des blessés sous la direction du Docteur Catteau ;
- la maternité sous la direction du Docteur Fichaux ;
- le service des contagieux sous la direction du Docteur Dewyn.
La présence d’un interne pour la nuit et les urgences vient renforcer l’équipe médicale.
300 lits sont maintenant disponibles dont 70 réservés exclusivement aux maladies contagieuses.
Le 14 juillet 1895, la municipalité peut inaugurer le nouvel hôpital. Le date choisie est toute symbolique. Comme Gustave Dron le précise dans son allocution : pour lui, République et solidarité sociale sont une seule et même chose. Dans ce même discours, il fait l’éloge du dévouement des religieuses reconnaissant qu’elles sont de précieuses auxiliaires et qu’ici elles ne remettent pas en cause la liberté de conscience à laquelle il est si attaché. Par la suite en 1901, grâce à l’achat de nouveaux terrains, la construction d’un pavillon pour enfants est décidé. Il est inauguré en 1903, à nouveau un 14 juillet. Madame Leloir présidente des Dames Charitables, ainsi que sa fille Maria Dron, sont conviées à l’événement. C’est leur association qui est chargée d’animer le quotidien des jeunes patients. Lors de la visite du Président de la République, Armand Fallières, à Tourcoing en 1906, Gustave Dron lui fait visiter les installations de l’hôpital.
Léon Dewyn, médecin, proche de Gustave Dron, (Halluin, 22 novembre 1840 – Tourcoing, 15 mai 1905). Le 7 août 1862, il réussit sa 3ème année de médecine, avec mention, à l’Université de Louvain puis est admis au concours d’externe des hôpitaux de Paris en 1863. Il choisit d’étudier pour sa thèse les habitations ouvrières de Lille. En 1867, il reçoit la médaille d’or de l’Académie des sciences, au vu de son attitude durant l’épidémie de choléra de 1866. Grâce à cette distinction ses frais de scolarité sont pris en charge par l’État. Il s’installe comme praticien à Halluin, puis à Tourcoing. Il est conseiller municipal mais aussi médecin au Conseil général du Nord depuis 1881, chargé de la médecine scolaire du Lycée Gambetta. Inspecteur à la commission des logements insalubres de la ville, il fait nommer Gustave Dron à sa place en 1880. Lors de la réorganisation de l’hôpital en 1892, ce dernier lui confie la direction du service des contagieux. À sa mort le 15 mai 1905, il est remplacé à l’hôpital par son gendre Clément Huriez, qui a fait son internat à l’hôpital de Tourcoing et qui a créé une consultation externe au sein du service des contagieux. En effet, Valentine, une de ses filles, épouse, en 1901, Clément Huriez d’origine lilloise. Leur fils, Claude Huriez, né à Tourcoing en 1907, se spécialise dans la lutte antisyphilitique. Léonce Adélaïde, son autre fille, épouse le filateur Urbain Robbe et devient la plus fidèle collaboratrice de Gustave Dron. Il la considère « quasi comme une nièce » et la nomme « mon incomparable collaboratrice ». Il lui confie la direction de la Sauvegarde des nourrissons et la charge par testament de poursuivre son œuvre.
La tuberculose et le sanatorium
La tuberculose pulmonaire est une maladie infectieuse aussi vieille que l’humanité. Elle est très contagieuse car elle se propage, comme le rhume par voies aériennes. Lorsqu’un malade tousse, parle ou crache, il projette dans l’air les germes de la maladie, il suffit d’en inhaler quelques-uns pour être contaminé. C’est également une maladie à caractère social, dont l’apparition et l'évolution sont fortement liées à la pauvreté et à la promiscuité. L’épidémie sévit dans la population pauvre et urbanisée de la révolution industrielle. Elle devient un véritable fléau, qui tue au XIXème siècle 150 000 personnes par an. C’est, à cette époque, la première cause de mortalité. La lutte contre la maladie mobilise les efforts des savants et des pouvoirs publics partout en Europe. En 1882, le médecin et microbiologiste allemand Robert Koch découvre le bacille de la tuberculose, mais ne propose pas encore de traitement. À Tourcoing, cette année-là, 1 décès sur 7 est dû à cette maladie.
Sans traitement, seules les campagnes de prévention peuvent arrêter la propagation du bacille. De nombreuses ligues se créent dans ce but. Ancêtre de nos associations, elles ne peuvent subsister qu’en organisant des collectes de fond. Gustave Dron, très sensible à cette cause, sollicite auprès de l’assemblée départementale, en compagnie de quelques autres conseillers généraux, dont le sénateur républicain lillois Achille Testelin (médecin également), des aides financières. Il soutient "l’Œuvre de la tuberculose" qui organise à Paris son premier congrès en 1888.
À Tourcoing, dès 1895, il crée un service municipal de désinfection à domicile qui assainit les logements des malades. Il prévoit dans les plans de l’hôpital une salle d’étuve permettant la décontamination du linge et des effets. Il souhaite un hôpital moderne et accueillant afin d’inciter les patients à s’y faire soigner au lieu de rester chez eux et de contaminer toute la famille.
Lors du 4ème congrès international de la Mutualité qui se tient à Roubaix du 19 au 20 octobre 1911, Gustave Dron fait partie de la commission chargée d’élaborer la lutte contre la tuberculose sous la présidence d’Albert Calmette. C’est par le biais de ce dernier avec lequel il travaille régulièrement qu’il peut suivre au plus près l’avancée de la recherche.
Le 15 avril 1916, la loi Léon Bourgeois rend obligatoire la création des dispensaires d’hygiène sociale. Ils sont chargés de faire l’éducation antituberculeuse, de donner des conseils de prévention et d’hygiène, d’assurer aux malades atteints par la maladie l’admission dans les sanatoriums ou établissements de soins et un accès aux soins. Dron souhaite aller plus loin que la loi ne l’y oblige. Il organise des consultations gratuites et des distributions de médicament en liaison avec le Bureau de bienfaisance. L’hôpital prend à sa charge les analyses médicales et les radiographies. Il institue des visites périodiques gratuites dans les écoles. Les enfants qui en ont besoin sont dirigés vers l’institut orthopédique ou le préventorium de Marcoing. La désinfection des logements est également assurée. La guerre 1914-1918 et l’occupation de la région par les troupes allemandes rendent impossible la mise en place rapide de cette loi. Placé sous la direction de la Sauvegarde des Nourrissons (association loi 1901), le dispensaire d’hygiène sociale ouvre ses portes à Tourcoing en 1921. En 1924, on voit la tuberculose commencer à reculer grâce à la généralisation de l’usage du vaccin Bilié de Calmette et Guérin ou BCG.
Le sanatorium
Avant la découverte en 1944, de la streptomycine, premier antibiotique ayant un effet sur le bacille de Koch, il n’existe pas d’autres traitements contre la tuberculose que la cure sanatoriale. On envoie au sanatorium, outre les tuberculeux, les malades atteints d'autres pathologies liées à la malnutrition, aux pollutions et aux mauvaises conditions d’hygiène et d’habitat qui règnent dans les régions industrielles.
Gustave DRON considère que pour construire un établissement de ce genre « […] dont il ne faut pas exagérer la portée curative, mais qui est un instrument de limitation et de prévention de ce terrible mal […] », il n’est pas nécessaire de partir loin et la montagne ne correspond qu’à certaines prescriptions. Il s’oppose en cela à ses confrères notamment au professeur Émile Roux qui pense que c’est un danger d’installer un établissement de ce type à Tourcoing en raison du « climat meurtrier pour ce genre de maladie».
Émile Roux, né en 1853, rencontre Gustave Dron en 1877 au cours de leurs études de médecine au Val-de-Grâce. Il est un temps l’assistant de Louis Pasteur. En 1883, il soutient sa thèse de doctorat dans laquelle il expose les recherches menées en collaboration avec Pasteur sur la rage. Il met au point avec Auguste Chaillou, la sérothérapie antidiphtérique. Sous-directeur de l’Institut Pasteur de Paris, il mène un grand nombre de recherches sur le tétanos, la tuberculose, la syphilis et la pneumonie. C’est également lui qui installe Albert Calmette à la tête de l’Institut Pasteur de Lille en 1895.
Dès l’achat des terres de la ferme de la Bourgogne en 1901, Gustave Dron décide qu’une partie du terrain sera réservée à la construction d’un sanatorium, d’un asile de convalescence et d’un centre d’aide par le travail pour les personnes handicapées. Le gouvernement lui promet une subvention importante prise sur les fonds du Pari Mutuel. En effet, depuis 1868, les paris sur les courses de chevaux sont mutualisés, l’argent est mis dans un pot commun et redistribué aux gagnants sous le contrôle de l’État. Ce dernier prélève 2% sur les mises afin de les distribuer à des œuvres sociales. Les Hospices, propriétaires du terrain, participent également au financement.
En février 1903, Gustave Dron a rassemblé l’argent nécessaire à la construction. C’est à l’emplacement de la ferme Haquette que le Sanatorium est construit. La ville qui vient d’acheter et de déconstruire le château Descat décide pour réduire les coûts que les matériaux récupérés serviront à l’édification des nouveaux bâtiments (pierres, boiseries, fenêtres, et même la grille encore visible aujourd’hui).
Le plan est élaboré en 3 mois (de février à avril 1903) par Gustave Dron lui-même, suite au décès de l’architecte de la ville Louis Leroux. Chaque pavillon est séparé des autres par un jardin arboré afin d’éviter la contagion. À l’angle de la rue de l’Yser et de la rue de la Bourgogne est installé le bâtiment administratif encadré par le logement du directeur et du concierge. Rue de l’Yser, la section des hommes, rue de la Bourgogne, les femmes tuberculeuses ou celles dont la grossesse nécessite une surveillance. Dans le prolongement de l’entrée, suivant une diagonale, les services généraux, puis plus éloignés les bâtiments de l’Assistance par le travail. En tout six pavillons. Gustave Dron choisit Maxime Sévin, récemment engagé comme architecte municipal. Ce dernier finalise le projet et apporte quelques modifications au plan. Il change notamment l’orientation des pavillons de la rue de l’Yser et agrandit les jardins. Il dessine toutes les élévations. Les travaux débutent en mai 1904. La deuxième phase du projet élaboré par Gustave Dron lors de l’achat du terrain de la Bourgogne est réalisée (la première étant la ferme de la Bourgogne).
Au sanatorium de Tourcoing, on dispense des soins "hygiéno-diététiques", c’est-à-dire une cure à base de silence, de repos et de surnutrition. Le pavillon d’assistance par le travail comporte un atelier de fabrication de meubles en bois courbé. Il débute son activité le 4 mars 1907. Cet établissement accueille également les convalescents et les femmes nécessitant du repos avant ou après l’accouchement dès avril 1907.
Gustave Dron souhaite que d’autres pathologies pulmonaires, comme l’asthme par exemple soient prises en charge. Il fonde beaucoup d’espoir sur une méthode assez controversée, mais à laquelle il croit beaucoup : l’inhalatorium. C’est une pratique qu’il sait très décriée par le corps médical « […] Il s’agit d’une méthode qui va soulever des polémiques, se heurter au courant officiel qui a refusé de reconnaître cette innovation […] ». Elle a été mise au point par le docteur Bernard Arnold. Celui-ci au sortir de la Première Guerre mondiale est attaqué par la faculté de médecine, qui conteste ses résultats. Pourtant même le ministère en vient à reconnaître la guérison de nombreux soldats gazés. Ce traitement « […] utilise le jeu respiratoire pour faire inhaler aux malades des vapeurs maintenues à une pression et à une température constante et chargées de substances médicamenteuses […] ».
En 1923, puis 1928, l’opposition reproche à Gustave Dron le coût important de l’établissement par rapport aux guérisons quasi inexistantes. Un rapport du docteur Leduc précise « Il est hors de doute que la mortalité par tuberculose, qui atteint dans notre ville la proportion de 12% justifie la création d’armes efficaces contre ce fléau. Mais malheureusement il est facile de constater que notre région en général par son climat, que notre ville en particulier par son atmosphère souillée de vapeur et de poussières, résultat de son activité industrielle, ne se prêtent nullement au traitement de la tuberculose ».
En 1931, l’école de rééducation professionnelle des mutilés est transférée à Roubaix. Le nombre de tuberculeux diminue et le sanatorium est déficitaire. Albert Inghels, successeur de Gustave Dron à la mairie et donc à la présidence des Hospices, fait une demande officielle au ministre de la Santé publique afin de transformer le sanatorium en annexe de l’hôpital. Il décide d’installer dans les locaux les services de médecine générale et de transformer un pavillon afin d’y accueillir les maladies contagieuses. En 1933, l’inhalarium est supprimé pour faire place au service ORL du Docteur Becuwe. En 1941, le professeur Claude Huriez se voit confier la tâche de réaliser dans les murs de l’ancien sanatorium un véritable centre médical moderne.
Claude Huriez, né le 12 décembre 1907 à Tourcoing, est le petit fils du docteur Léon Dewyn et le fils de Clément Huriez. Il est également le neveu de la plus proche collaboratrice de Gustave Dron. Son grand-père et son père se sont vu confier par ce dernier le service des contagieux de l’hôpital. En 1943, il est nommé professeur de clinique dermatologique puis, en 1948, secrétaire général de la Commission d’achèvement de la Cité Hospitalière de Lille.
La Sauvegarde des nourrissons
La "Sauvegarde des Nourrissons" est créée le 21 mars 1904. Gustave Dron choisit de lui donner le statut d’une association (possible depuis la loi de 1901) car il offre des facilités de gestion et d’administration. Cette procédure permet aussi un travail transversal entre les personnes désireuses de s’investir, les gestionnaires administratifs des œuvres d’assistance proposant les moyens d’action et la municipalité qui apporte les fonds nécessaires. C’est à cette formule que Gustave Dron aura presque systématiquement recours pour chacune de ses œuvres.
Les financements proviennent principalement d’une subvention versée à la ville de Tourcoing par l’industriel américain Pierre Wibaux. En effet ce dernier, suite à la campagne de presse du journal le Matin à propos de la mortalité infantile dans la région du Nord prend contact avec Gustave Dron et propose de donner 25 000 francs à la municipalité afin de construire une ferme modèle, où un lait de bonne qualité pourra être produit.
Pierre Wibaux, né à Roubaix au sein d’une famille d’industriels du textile, il quitte la fabrique familiale en 1883 pour les États-Unis, où il s’installe comme éleveur. L'année suivante, en 1884, il revient en Europe, se marie avec Mile Nelly Cooper et se procure des capitaux afin de développer son élevage. À partir de 1890, il étend son troupeau à plus de 50 000 têtes de bétail dans les vastes prairies du Montana et du Dakota. En plus de son activité d'éleveur, il occupe également la fonction de Président de la Banque Nationale de Miles-City (Montana). Il est aussi président d'une société d’exploitation d'or située dans les montagnes noires du Sud Dakota. En 1903, il propose aux villes de la région une somme de 25 000 francs pour : "établir des fermes modèles dont le lait pourrait être distribué dans les "meilleures conditions aux familles nécessiteuses". Il meurt le 21 Mars 1913, à Chicago, des suites d'une intervention chirurgicale.
Par ces "consultations" s'établit un contrôle systématique de la croissance et de la santé des jeunes enfants au moins jusqu'au sevrage. En même temps la mère reçoit, suivant ses besoins, du lait non altéré, des secours, mais surtout des indications d'hygiène pratique pour elle et son enfant. Les premières consultations ont lieu le 20 avril 1904 dans l’aile gauche de l’hôpital Rue Nationale. En 1905, on peut constater que, sur 1716 enfants nés à Tourcoing, 736 ont fréquenté la Sauvegarde.
La ferme de la Bourgogne
En 1896 Gustave Dron écrit au préfet à propos du lait "falsifié" à Tourcoing. En effet, plusieurs opérations sont effectuées à cette époque sur le lait par les producteurs ou les commerçants, comme par exemple, celle du mouillage du lait (il est coupé d’eau) ou encore l’écrémage (la matière grasse est retirée). On constate aussi l’adjonction de substances plus ou moins dangereuses.
Le 24 février 1901, Gustave Dron décide de convoquer à l’Hôtel de ville les cultivateurs et les marchands de lait. Souhaitant donner un aspect solennel à cette réunion, il est entouré de ses adjoints et des membres de l’administration des Hospices et du Bureau de Bienfaisance. Il explique tout d’abord aux laitiers qu’ils ont été convoqués car la mauvaise qualité nutritive de leurs produits est grandement préjudiciables aux nourrissons, malades et vieillards.
« […] Est ce du lait qui se vend à Tourcoing ?
Non ce qui se débite comme lait n’a plus, pour ainsi dire, de cette denrée que le nom. Tous les principes qui en constituent la base élémentaire lui ont été soustraits en grande partie.
Le lait ainsi privé de ses qualités nutritives n’est plus qu’un déchet de lait véritable, déchet auquel des industriels peu scrupuleux ne craignent pas encore d’ajouter de l’eau, histoire de rétablir la densité. On n’a plus sous les yeux qu’un liquide blanc bleuâtre n’ayant conservé du lait qu’une vague apparence. La matière grasse, la crème a été enlevée.
Soumis à l’analyse ce produit révèle une pauvreté déconcertante, il ne contient plus rien, ni en matière grasse, ni en extrait sec. Bien plus, parfois l’analyse décèle à côté de l’eau, l’addition de substances étrangères plus ou moins dangereuses ajoutées pour masquer la fraude. Le lait a disparu. Un produit abominablement frelaté, adultéré, lui a emprunté, usurpé son nom, et c’est ce produit qui est livré à la consommation aux lieu et place du lait.
Et maintenant entrevoit-on les conséquences d’une telle situation ?
La première, la plus grave d’entre toutes, est le chiffre de la mortalité infantile. Les petites croix de bois s’alignent dans les cimetières, marquant les places où sont couchés de pauvres petits être venus au monde bien constitués, avec les meilleures apparences de vitalité. Ce sont pour la plupart des enfants à qui la mère n’a pu donner l’alimentation naturelle pour une cause quelconque et à laquelle il a fallu substituer l’alimentation artificielle. Les pauvres petits ont ingéré le produit adultéré que nous venons de dépeindre et qui, au bout de peu de temps, les a conduits au tombeau. Comment pourrait-il en être autrement malgré les soins maternels les plus intelligents.
Voyez cette mère tenant sur les bras un bébé de quelques semaines ou de quelques mois. Elle se lamente, elle se désole, son enfant dépérit tous les jours. Il prend de la nourriture cependant il en est avide, il se jette affamé sur son biberon ou son sabot, en absorbe le contenu et recommence ses cris. Il ne pousse pas cet enfant ! Son visage est décharné et prend cette expression navrante, il a la figure du vieillard. Enfin lorsque les ravages de l’estomac et du tube digestif sont complets, une diarrhée verte vient terminer cette existence éphémère. Il reste des parents en larmes, une mère le cœur brisé, pleurant un chérubin tué par le produit qui devait le faire vivre.
Il est temps de mettre un terme à des pratiques traditionnelles que l’on a tolérées par inertie, et qui ont déjà fait tant de petites victimes innocentes !
C’est une question sérieusement grave que la préservation de la vie des enfants du premier âge. On déplore que le chiffre des naissances ne soit pas plus élevé dans notre pays.
A côté des enfants du premier âge, nous avons les malades auxquels les médecins prescrivent le lait comme un remède et un reconstituant, parfois comme un régime complet.
Nous dirons tout d’abord qu’on pourrait simplement se borner à appliquer aux industriels qui vivent de la vente du lait les simples dispositions de la loi générale sur la falsification des denrées alimentaires, sévèrement punie par le code pénal. Ce serait la mesure radicale.
Le lait doit être du lait, c’est-à-dire renfermer en entier tous les éléments constitutifs. Un lait écrémé en tout ou en partie n’est plus un lait complet ; donc celui qui le livre à la consommation tombe sous le coup de la loi et la loi avec raison n’est pas tendre aux falsificateurs. Vendre du lait qui n’est pas véritablement du lait entier dans ses principes c’est commettre le délit de tromperie sur la qualité de la marchandise vendue. Par suite d’une tolérance qui devait dégénérer en scandaleux abus, tolérance qui remonte à une époque déjà éloignée, on s’est accoutumé à laisser vendre le lait écrémé pour du lait. C’est-à-dire que si du jour au lendemain en présence des plaintes, des récriminations unanimes, on voulait se montrer rigoureux ou supprimer toute tolérance, on n’aurait qu’à appliquer la loi. Il n’est pas un fermier ni un marchand de lait qui ne serait en permanence sous le coup des poursuites qui pourraient lui être intentées.
L’administration municipale mise formellement en demeure de prendre une mesure pour remédier à la situation dénoncée a longuement étudié la question…elle a songé à une mesure intermédiaire dont les résultats seraient tout à la fois de permettre à la population d’avoir une garantie de la valeur du produit qu’elle achète, tout en ne déchaînant pas brutalement contre la corporation des laitiers toutes les rigueurs de la loi… La vente de ces laits ne serait autorisée qu’autant que les récipients indiqueraient en lettres apparentes la nature du produit […] ».
Afin d’illustrer son propos, Gustave Dron prend alors cinq des échantillons de lait achetés le matin même par la police. À titre de témoin, il y ajoute un sixième échantillon provenant d’une vache bretonne. Il procède alors, à l’aide d’un acydo-butyromètre, à une mesure de la teneur en matière grasse du liquide. Après cinq minutes, il montre les résultats à l’assemblée. Le lait breton contient 52 grammes de beurre par litre, celui des élevages de Tourcoing cinq grammes par litre. Pour être assez nourrissant pour un jeune enfant, il ne faut pas que la teneur en matière grasse soit inférieure à 30g/litre.
Après sa démonstration, il leur demande de corriger cet état de fait. Il admet qu’il en découlera sans doute une hausse des prix et s’engage à la faire accepter à la population. Il en appel au civisme et leur laisse huit jours de réflexion. La semaine écoulée, une délégation des producteurs signifie au maire qu’il n’est pas question de modifier leur façon de faire et que l’administration municipale n’a pas à s’immiscer dans le domaine commercial. Gustave Dron sait que la poursuite systématique des contrevenants n’est pas une solution pour lutter contre la spéculation. Il n’est pas possible de systématiser les contrôles de police. En tant que partisan de la régie directe, produire en interne est pour lui la solution. L’importante consommation des œuvres sociales (en moyenne 450 litres/jour), justifie largement l’investissement.
Gustave Dron a déjà songé, lors d’une précédente crise avec le fournisseur de lait des Hospices à doter l’institution d’une exploitation agricole. Il s’inspire en cela des asiles de Bailleul et d’Armentières dont il est président de la commission de surveillance. Mais de nombreux problèmes techniques et financiers l’avaient fait renoncer à ce projet à l’époque.
En février 1902, les Hospices obtiennent la promesse de vente de la ferme de la Bourgogne, dite ferme Haquette, et d’une autre ferme y attenante (elle a été acheté en 1879 par le précédent propriétaire).Pour Gustave Dron, cet achat présente plusieurs avantages, en premier lieu les deux exploitations couvrent 26 hectares d’un bloc, ce qui est rare à Tourcoing ; de plus, elles sont d’un accès facile par la route départementale et par le tramway. Le financement de cette acquisition est assuré par la liquidation de rentes appartenant aux Hospices.
Le 31 mai 1902, le conseil municipal donne son accord pour l’acquisition de la propriété. Les fermes sont encore occupées par des agriculteurs qui possèdent un bail d’exploitation. Il faut donc négocier l’abandon des droits d’occupation. Les Hospices prennent possession du domaine le 29 octobre 1902. Dès lors, la ferme de la Bourgogne n’est plus exploitée qu’au profit exclusif des établissements hospitaliers de la ville.
Le conseil municipal vote, lors de la séance du 2 juillet 1902, un crédit de 200 000 francs afin d’y faire réaliser des travaux de modernisation. Il convient d’élaborer les plans des nouvelles installations avec soins. Le lait produit par cette ferme est destinée aux malades et aux nouveaux-nés. L’hygiène doit être une priorité. Il n’existe pas, à cette époque, de normes de construction pour les laiteries. Gustave Dron prend en charge le dossier. Mais la réalisation des plans est particulièrement délicate. Gustave Dron, en janvier 1903, doit aller chercher conseils auprès du vétérinaire départemental, Monserrat, qui l’aide à définir les règles de construction et d’aménagement d’une étable, d’une laiterie et d’une salle de pasteurisation valable. Les anciens locaux de la ferme serviront aux soins vétérinaires (vêlage, maladie) mais également à l’élevage de quelques porcs. Les travaux commencent le 22 juin 1903 et sont financés en grande partie par la subvention Wibaux.
Après quelques essais de pasteurisation, l’inauguration a lieu le dimanche 27 mars 1904 en même temps que celle de l’école des Beaux Arts afin de profiter de la venue de représentants du gouvernement. Le personnel de la ferme est très hostile aux nouvelles méthodes employées dans la laiterie. Il ne comprend pas que l’on doive donner à manger au bétail autre chose que des résidus de distillerie qui rendent le lait impropre à la consommation des nourrissons. La seule nourriture envisageable à la Bourgogne est le tourteau de lin ou les résidus de brasserie, or cela entraîne un surcoût important. Il est difficile aux fermiers d’envisager de produire sans profits. Il leur est également demandé de tenir une comptabilité précise de toutes les entrées et sorties de fournitures, chose qui n’est pas habituelle chez les agriculteurs de l’époque. C’est dans sa ville natale à Marcoing que Gustave Dron trouve le directeur capable non seulement de comprendre et d’assurer le fonctionnement de la laiterie, mais aussi d’en compléter les installations en créant un laboratoire d’analyse et un service de distribution à domicile.
La superficie de la ferme s’agrandit grâce à l’achat de nouveau terrains. À la fin de l’année 1906, elle atteint sa superficie définitive. Quarante vaches produisent sept cent litres de lait par jour. La traite du matin est réservée aux nourrissons car le lait est plus riche, celle du soir aux malades et vieillards. Après pasteurisation, le lait est distribué dans 13 dépôts : écoles maternelles, crèches, hôpital, hospices et le Bureau de bienfaisance.
Le congé maternité
En février 1886, Albert de Mun dépose à la Chambre des députés une proposition de loi visant à améliorer les conditions de travail des ouvriers. Il est stipulé dans l’article 9 que « […] les ouvrières d'usine en couches ne pourront être employées à aucune tâche industrielle pendant quatre semaines après l'accouchement […] ». Mais elle n’est pas réellement appliquée et l’article 9 est rapidement abandonné. En effet, cette première avancée vers le congé de maternité suscite de fortes défiances. Pour certains réglementer la maternité revient à laisser l'État s’introduire dans la sphère économique. Armand Després, député et chirurgien des hôpitaux de Paris, assure : « […] Ces choses-là ne se mettent pas dans la loi, le bon sens et l'esprit français s'y refusent, ce serait un objet de risée […] ».
Au sein de la commission d’étude de la natalité, Gustave Dron a décidé de lutter par tous les moyens contre la mortalité infantile. Pour lui, ce combat passe également par la protection des femmes, une extension de leurs droits et un encouragement à l’éducation. Militant inlassable, il en profite pour attirer l’attention de ses collègues sur la question. Il trouve auprès de Paul Strauss, Pierre Budin et d’autres parlementaires médecins une aide et un soutien. Dès 1891, Gustave Dron propose de légiférer sur le repos des femmes accouchées. Pour lui, cette disposition permet de lutter contre la mortalité infantile car non seulement on protège la santé de la femme et on lui permet d’avoir d’autres enfants, mais surtout on lui donne la possibilité de s’occuper de son bébé. Il produit à la Chambre un rapport sur la proposition d’interdire le travail industriel aux accouchées pendant un certain délai et présente le projet de loi correspondant.
Parallèlement, Émile Brousse profite d’une nouvelle discussion sur l’ article 9 pour relancer l'idée d'une indemnisation du congé de maternité par le biais d'une caisse spéciale et présente lui aussi une intention de loi. C’est Gustave Dron qui est chargé de rapporter les deux projets en première discussion devant la Chambre. Ils sont accueillis avec réserve notamment par le ministre des Finances, Maurice Rouvier, et bon nombre de ses collègues parlementaires qui lui reprochent la charge financière qui pèserait sur le budget de l’État. Même Albert de Mun refuse de le suivre sur la question de l’indemnisation. Paul Doumer souligne qu’il n’est pourtant pas logique d’imposer un repos aux ouvrières et de ne pas assurer le manque à gagner. Pour d’autres, puisque chaque femme réagit différemment à la maternité, il ne faut pas légiférer. La loi adoptée lors d’une première délibération n’est pas présentée en deuxième lecture.
C’est Paul Strauss, en 1899, qui reprend à son compte le projet de Gustave Dron en s’appuyant sur les travaux de la commission extra-parlementaire. Il souhaite « […] que toute femme enceinte reçoive l’assistance nécessaire pour se trouver dans les conditions d’accouchement indispensables pour elle et son enfant dans les trois derniers mois de la grossesse […] ». Une fois, cette loi adoptée, Paul Strauss s’attache à assurer à la mère l’indemnisation de ce congé ainsi que la garantie de recouvrer son emploi. Le fait de dissocier les lois lui permet de mieux faire accepter le projet à la chambre. Il met pourtant treize ans à le faire admettre.
Les crèches
Trop souvent forcées de subvenir par leur travail aux besoins d’une famille nombreuse, les mères se voient dans l’obligation de confier leur enfant à une personne plus ou moins vigilante. Elle peuvent également l’emmener à l’usine et le garder dans l’atmosphère insalubre de l’atelier. Pour Gustave Dron, il convient de les aider en ouvrant des structures adaptées qui proposent une alimentation et des soins appropriés à l’âge des bébés.
En 1892, il demande à la ville de Tourcoing la création d’une crèche municipale. Il s’inspire en cela de la crèche de Rouen qu’il considère comme idéale. La ville choisit pour construire le bâtiment un terrain faisant parti du jardin public, rue des Poutrains. En 1895, une seconde pouponnière est installée rue de Guisnes.
Les deux structures sont ouvertes six jours sur sept et, pour un prix modique accueillent les petits âgés de deux semaines à trois ans. Les enfants arrivent souvent le matin dans un état de grande saleté avec des vêtements qui n’ont pas été lavés depuis plusieurs jours. C’est pourquoi on les habille avec l’uniforme de la crèche. Ils y restent de dix à douze heures d’affilées car les horaires de travail des mamans sont importants. Les parents ne sont pas admis à l’intérieur. Les bébés y sont nourris avec du lait, provenant de la ferme de la Bourgogne, et les parents repartent également avec des biberons pour la nuit. Outre la directrice, le personnel est composé de jeunes femmes appelées les "Berceuses"qui s’occupent des enfants. En 1909, 116 petits profitent de ces installations qui fonctionnent jusqu’en 1914.
Après la guerre, Gustave Dron ne se représente pas aux élections municipales. Son successeur, le docteur Leduc, choisit de ne pas rouvrir les crèches et de mettre les bâtiments à la disposition des syndicats.
Trop souvent forcées de subvenir par leur travail aux besoins d’une famille nombreuse, les mères se voient dans l’obligation de confier leur enfant à une personne plus ou moins vigilante. Elle peuvent également l’emmener à l’usine et le garder dans l’atmosphère insalubre de l’atelier. Pour Gustave Dron, il convient de les aider en ouvrant des structures adaptées qui proposent une alimentation et des soins appropriés à l’âge des bébés.
En 1892, il demande à la ville de Tourcoing la création d’une crèche municipale. Il s’inspire en cela de la crèche de Rouen qu’il considère comme idéale. La ville choisit pour construire le bâtiment un terrain faisant parti du jardin public, rue des Poutrains. En 1895, une seconde pouponnière est installée rue de Guisnes.
Les deux structures sont ouvertes six jours sur sept et, pour un prix modique accueillent les petits âgés de deux semaines à trois ans. Les enfants arrivent souvent le matin dans un état de grande saleté avec des vêtements qui n’ont pas été lavés depuis plusieurs jours. C’est pourquoi on les habille avec l’uniforme de la crèche. Ils y restent de dix à douze heures d’affilées car les horaires de travail des mamans sont importants. Les parents ne sont pas admis à l’intérieur. Les bébés y sont nourris avec du lait, provenant de la ferme de la Bourgogne, et les parents repartent également avec des biberons pour la nuit. Outre la directrice, le personnel est composé de jeunes femmes appelées les "Berceuses"qui s’occupent des enfants. En 1909, 116 petits profitent de ces installations qui fonctionnent jusqu’en 1914.
Après la guerre, Gustave Dron ne se représente pas aux élections municipales. Son successeur, le docteur Leduc, choisit de ne pas rouvrir les crèches et de mettre les bâtiments à la disposition des syndicats.
Les jardins des mères
Les travaux des médecins hygiénistes ont mis en avant que le manque d’aération et la promiscuité étaient des facteurs favorisant l’apparition des maladies, notamment la tuberculose. Ils préconisent l’aménagement de jardins réservés aux très jeunes enfants dans les grandes villes afin de lutter contre la mortalité infantile qui sévit dans le milieu ouvrier à cette époque. Il faut permettre aux petits de sortir du taudis qui leur sert de logement. En 1925, Gustave Dron décide l’installation de semblables squares, appelés Jardins des mères. Sur des terrains spécialement gazonnés et aménagés, les mamans peuvent venir y aérer leurs bambins. À Tourcoing en 1930, ils sont au nombre de cinq répartis dans les différents secteurs de la ville : le jardin des Orions, du Palais de justice, du Congo, du Chêne Houpline et de la Blanche Porte.
La gestion de ces aires de jeux est placée sous l’égide de la Sauvegarde des nourrissons. Elles sont accessibles chaque après-midi de 14 à 18h et fermés le dimanche. Des membres de l’association animent les après-midi et offrent chaque jour un goûter aux bambins. Afin de les inciter à une fréquentation assidue, des tickets de présence sont remis aux mères leur donnant la possibilité de participer à de nombreuses tombolas. Ces jardins sont ouverts d’avril à septembre. Le début et la fin de la saison sont l’objet d’une fête à laquelle Gustave Dron ne manque pas d’assister en tant que maire et président de la sauvegarde des nourrissons.